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2017, UNE ANNÉE DÉCISIVE POUR LES DROITS DE LA NATURE

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En 2017, la reconnaissance des droits de la Nature a pris un tournant décisif puisque plusieurs entités naturelles ont été reconnues comme possédant une personnalité juridique. Tandis que l’Inde tâtonne encore pour affermir les bases de cette innovation juridique, la Nouvelle-Zélande montre la voie. La France pourrait dès lors s’en inspirer.

Inde, reconnaître des droits aux entités sacrées pour mieux les protéger

En avril dernier, la Haute Cour d’Uttarakhand a donné aux glaciers Gangotri et Yamunotri le statut d’entités vivantes. Ces glaciers sont un lieu de pélerinage pour qui entreprend le « Chardham Yatra » (pèlerinage des quatre demeures), chemin qui consiste à visiter les lieux saints – Yamunotri, Gangotri, Kedarnath et Badrinath. Alors que le glacier Yamunotri marque l’origine de la rivière Yamuna, Gangotri est le glacier à l’origine de la rivière sacrée, le Gange.

Situées dans l’Himalaya, les deux ressources en eau douce ont reculé depuis des décennies. Cette reconnaissance arrive à point nommé, puisque l’existence même des rivières, des forêts, des lacs, des plans d’eau, de l’air et des glaciers de la région est en jeu, en raison du réchauffement climatique et de la pollution. Leur conservation est vitale pour l’Homme : la fonte des glaciers cause des inondations, qui peuvent entraîner des catastrophes, comme en juin 2013, au temple de Kedarnath où au moins 4.000 personnes étaient mortes du fait d’une brèche dans un lac glaciaire.

Une reconnaissance fragilisée par l’absence de responsables juridiques

Cette reconnaissance intervient alors qu’en mars de la même année, la Haute Cour de l’Etat himalayen de l’Uttarakhand avait accordé au fleuve sacré du Gange et à son affluent Yamuna un statut juridique, afin que ceux-ci soient considérés comme des « entités vivantes ayant le statut de personne morale » et les droits afférents.Trois hauts responsables de l’Etat avaient été nommés en tant que gardiens.

Traversant 29 villes, le Gange est un des fleuves les plus pollués de la planète. Il s’agit pourtant du cours d’eau où les hindous pratiquent les rites traditionnels, notamment les ablutions ou encore la dispersion des cendres des défunts.

Mais l’Etat de l’Uttrakhand a fait appel, affirmant que le nouveau statut de ces cours d’eau n’était pas « viable » juridiquement. En juillet, la Cour suprême indienne a finalement annulé cette décision. Le gouvernement critiquait entre autres, l’absence de dispositions prévoyant qui serait responsable pour les préjudices causés par le fleuve, notamment en cas d’inondations provoquées par une crue des eaux.

Si l’auteur de la pétition à l’origine de l’action, Mohammad Saleem, compte faire appel, cette annulation pose la question du fondement juridique de la reconnaissance des droits de la Nature. Loin de constituer un frein à ces innovations juridiques, cette décision appelle à en creuser la portée, au-delà des reconnaissances incantatoires et symboliques, pour une réelle protection et un régime de responsabilité dédié.

C’est la voie empruntée par la Nouvelle-Zélande.

Nouvelle Zélande : les Maoris désignés gardiens des droits de la Nature

Après avoir reconnu la personnalité juridique au parc national de Te Urewera en 2014, cette année, la Nouvelle-Zélande a concédé des droits à deux nouvelles entités : la rivière Whanganui -Te Awa Tupua en langue Maori – et le mont Taranaki.

Après une bataille de 170 ans menée par le peuple Maori, une loi de mars 2017 a reconnue à la rivière Whanganui un statut similaire à celui d’une personne morale, tandis qu’en décembre 2017, un accord était conclu entre le gouvernement et les Peuples Autochtones pour reconnaître des droits au mont Taranaki.

La rivière dispose désormais de deux gardiens – un nommé par la par la communauté maorie, ou Iwi, et un par la Couronne. Quant à la montagne sacrée Taranaki, huit tribus maories se partageront sa tutelle avec le gouvernement.

Pour Chris Finlayson, le procureur général de la Nouvelle-Zélande et ministre des négociations des traités, cette décision n’est pas « étrange » et au contraire équivaut à attribuer une personnalité juridique aux personnes morales, comme ce qui existe pour les entreprises.

C’est une victoire immense pour la reconnaissance des revendications des Peuples Autochtones qui ont avec la Nature une relation particulière.

La reconnaissance du lien existentiel entre l’Homme et la Nature

Gerrard Albert, qui a négocié la personnalité juridique pour la rivière Whanganui plus tôt cette année, a déclaré que toutes les tribus maories se considéraient comme faisant partie de l’univers, à égalité avec les montagnes, les rivières et les mers. « Nous avons toujours cru que le fleuve Whanganui est un ensemble indivisible et vivant« , a-t-il rappelé. De la même façon, pour les communautés maoris vivant sur le territoire proche du Mont Taranaki, la montagne sacrée est considérée comme un ancêtre, un membre de la famille.

Ces nouvelles lois consacrent donc la vision du monde telle qu’elle existe au sein des communautés maories. Elles attribuent à l’Homme des devoirs vis-à-vis de la Nature, et replace celui-ci dans une relation équilibrée, renversant la conception occidentale selon laquelle l’Homme est maître de son environnement.

Alors pourquoi pas en France ?

La France est riche de nombreuses cultures, même si elle ne reconnaît pas toujours celles-ci à leur juste valeur. Ainsi la cosmologie kanak porte en elle la reconnaissance de l’unité entre l’Homme et la Nature. De même, les traditions amérindiennes de Guyane transmettent de génération en génération le caractère sacré des entités naturelles.

L’idée de considérer notre environnement naturel comme sujet de droit, constitue de moins en moins une utopie et devient progressivement une réalité tangible, grâce à de nombreuses mesures prises en ce sens à travers le monde. En Guyane, une initiative est en cours qui vise à cartographier les sites sacrés amérindiens. A terme, cela pourrait aboutir à la reconnaissance des droits des Peuples Autochtones, en tant que gardiens des droits de la Terre-Mère et permettre de promouvoir une nouvelle conception de notre rapport au vivant intimement liée au devenir de l’espèce humaine. 

Rien ne semble donc s’opposer à une reconnaissance similaire dans le régime juridique français. Accorder à la Nature le statut de sujet de droit reconnaît la relation d’interdépendance évidente entre l’Humanité et son environnement. Le droit pourrait alors établir un devoir de diligence légal envers la Nature qui entraînerait des obligations et habiliterait les communautés à protéger les écosystèmes de manière proactive, en utilisant la loi. Afin de redresser les déséquilibres de pouvoir, les droits de la Nature constituent un puissant contrepoids aux mécanismes de financiarisation de l’environnement qui ont primé jusque là. Au-delà de l’outil de bonne gouvernance, il s’agit d’une approche qui apporte un changement culturel dans la perception de notre relation avec la Terre-Mère.

 

Par Marine Calmet

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